Dolly Dot (roman) - 1er chapitre

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Il y a des moments qui échappent facilement à l'oubli. Hasard? Magie? Non. C'est simplement le fait de, disons, quelque chose d'indéfinissable dont ils sont faits et qu'ils portent en elles-mêmes et que l'on ne peut ni distinguer ni comprendre. L'on ne peut que sentir sa présence et subir son ambiguïté, comme le goût du sucre dans un café... C'est le goût de la madeleine de Proust. C'est l'inexpliquable hantise du souvenir, le retour des choses que l'on croyait perdues alors qu'elles n'ont fait que se réveiller après un petit sommeil passé quelque part dans l'immense labyrinthe de la mémoire... Le jour où j'ai rencontré Mona pour la première fois en fait partie.

Elle avait trente-six ans, à l'époque. Une belle plante, resplendissante, pleine d'énergie. Je l'avais vue, pour la première fois, dans le restaurant "Extase" où elle travaillait comme serveuse. Dès le premier regard, elle capta mon attention. Et pour cause: elle évoquait beaucoup plus un mannequin qu'une serveuse. Je passai un bon moment à la contempler, de loin, sans oser l'appeler. Son élégance, la souplesse de ses mouvements, le sourire omniprésent qui couvrait son visage de lumière, tout était parfait en elle.

Mais un détail attira mon attention plus que les autres: elle portait une bague... Était-elle fiancée? Ou mariée? Je craignais que la réponse ne fût affirmative en faveur de l'une de ces deux hypothèses et que tout le charme ne s'en trouvât évaporé... Je continuai, malgré cette fâcheuse remarque, à la regarder tout en mangeant ma cotelette de veau, faisant tout ce qui m'était possible pour qu'elle ne remarquât pas mon regard.

Quand j'eus terminé mon dîner de solitaire, j'appelai la deuxième serveuse, celle qui avait pris ma commande, pour régler ma note et m'en aller.

"Tu sais, lui dis-je, c'est la première fois que je viens dans cet établissement, je crois que j'y reviendrai.
- Il vous a plu?
- Oui. Joli restaurant. Je suppose qu'il n'est pas très ancien, n'est-ce pas?
- Non, au contraire. Mais le nouveau propriétaire a tout renouvelé.
- C'est rare de trouver un coin aussi hospitalier avec des serveuses aussi belles et attentionnées.
- Heureuse que tout vous ait plu, monsieur. Et merci pour le compliment.
- Dis, ta copine est toujours aussi pleine d'énergie?
- Qui? Ah, Mona? Oui, toujours...
- Elle s'appelle Mona? Joli prénom. Et le tien?
- Sandrine. Excusez-moi, je n'ai pas le droit de prendre une pause en ce moment. Mais...
- On peut prendre un verre ensemble, un jour?
- Avec plaisir. . . Ce soir, si tu veux. . .
- Ok!
- Au coin de cette rue, il y a un bar. Neuf heures, ça te va? C'est à cette heure-là que je termine mon travail...
- Ok! Neuf heures.
Elle s'éloigna un peu, puis se retourna, souriante.
- C'est un peu imbécile, tout ça; mais je ne sais même pas comment tu t'appelles...
- C'est vrai! Je m'appelle Nader.
- Enchantée. A plus tard, alors?
- A ce soir!

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