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15 mars 2010 1 15 /03 /mars /2010 23:56

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Donc, lorsqu’une affirmation ne vous convient pas, vous l’écartez d’un geste de la main en disant qu’elle «fait débat». «La Terre tourne autour du Soleil. — Oh, vous savez, cela fait débat…» «Le monde ne s’est pas fait en six jours. — Ça fait débat.» Quel débat? C’est sans importance. Ça fait débat = c’est douteux (voire suspect). Au bout du compte, l’important est que rien ne soit sûr.

 


CheminL’expression n’est pas sans connaître une certaine usure, à force d’être utilisée et vous direz maintenant plutôt: ça fait polémique. «Cette proposition pourrait faire polémique» (La Croix, 2 avril 2009). «Le projet de rénovation de l’hôtel Lambert fait polémique» (Les Échos, 13 mars 2009). Polémique, rien que ça. Rappelons que le mot vient du grec polemikos, «qui concerne la guerre». Par affaiblissement, il désigne un débat vif et soutenu. «Il reste que des décisions difficiles devront être prises, dont la perspective suscite déjà la polémique» (le Monde, 16 juin 2009). La polémique, vraiment, ou un débat? Et d’ailleurs, une fois de plus, quel débat? En l’occurrence: quelle polémique? Que veut dire: «susciter la polémique»? Susciter «une» polémique, passe, mais «la» polémique, cela ne passe pas. Eh bien, si, ça passe, on nous le repasse, mais ça lasse. Quelques exemples: «C’est au nom de la loi Evin que la célèbre pipe du cinéaste Jacques Tati a été supprimé sur une affiche dans le métro parisien. Une disparition qui suscite la polémique» (le Parisien, 16 avril 2009). En Italie, «la proposition du président du Conseil suscite la polémique» (le Monde, 13 mars 2009). «Le chercheur écossais Stuart Brody suscite la polémique» (Libération, 16 février 2009). «Ce déménagement suscite la polémique» (le Monde, 20 février 2010). «La visite en Norvège de l’historien britannique David Irving, condamné pour négationnisme, suscite la polémique» (la Croix, 28 mai 2009). «Cet album a suscité la polémique» (la Croix, 22 mai 2009)…   Mais quelle polémique, à la fin? Quelles thèses s’affrontent? On aimerait le savoir, on ne le saura pas. «Susciter la polémique» est un tic de langage qui signifie seulement que tout ça fait débat. Quel débat? etc.
 
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CITATION «Et que je te sens froide en te touchant, ô mort, Noir verrou de la porte humaine.» (Victor Hugo, Paroles sur la dune.)

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15 mars 2010 1 15 /03 /mars /2010 23:51

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Un coup, c’est un coup, et un coup de marteau sur le doigt, ça fait mal. Mais il y a aussi des coups qui ne sont pas frappés, comme le coup qu’on tente, qu’on tient, le coup de bol, j’en passe et des meilleurs, car je n’ai pas la place, pour en venir au fait: il arrive que le coup ne soit plus dans le coup. Tenez, par exemple, la locution «à coups de». Citation de Georges Duhamel donnée par le Petit Robert: «Les universités se disputent le professeurs à coups de billets de banque.» Faut-il comprendre que les professeurs prennent des volées de coups de billets sur le crâne? C’est plutôt à des caresses qu’on pense. Je l’ai consolée à coups de gâteries et de gâteaux… il n’y a aucun coup qui soit donné et, du coup, «j’ai voulu l’acheter à coups de poésie, mais, comme elle résistait, je me suis résolu à l’achever à coups de fusil» n’est pas sans poser un problème de traduction. Car, l’idée de coup ayant disparu dans «à coups de», on est tout d’un coup gêné par «à coups de» fusil: n’est-ce pas plutôt «à coups de»… coups de fusil qu’il convient de dire? De même: j’ai tenté de le convaincre à coups de bonnes paroles, mais je ne l’ai persuadé finalement qu’à coups de poing — n’a-t-on pas envie de dire, comme «à coups de» bonnes paroles, «à coups de» coups de poing?

À coups de dictionnairesC’est la faute à Malebranche. De lui vient tout le mal de la disparition de l’idée de coup dans «à coups de», parce qu’il eut l’idée plaisante d’utiliser «à coups de» dans un sens figuré: «La plupart des livres, a-t-il écrit, ne sont fabriqués qu’à coups de dictionnaires.» Il a été imité, remarque Littré. Il l’a été tant et si bien que vous trouvez maintenant cette histoire de dictionnaires dans tous les dictionnaires. Académie française: «faire une version latine à coups de dictionnaires»; Petit Robert: «traduire un texte à coups de dictionnaire»... et «à coups de» signifie désormais «en recourant systématiquement à», voire tout simplement «à l’aide de». À coups de théories, à coups de stratagèmes, à coups d’hypothèses, à coups de racontars, à coups d’articles de presse… l’idée de «coup» n'est plus dans «à coups de» et, du coup, «il a été tué à coups de poing» sonne bizarrement.

Or, il n’y a rien de bizarre. Avant son emploi au sens figuré, «à coups de», c’est d’abord «avec des coups de». Traduire avec des coups de dictionnaire, non, mais assommer avec des coups de poing, oui. Il ne devrait y avoir aucun doute là-dessus. «Se sauver à coups d’aviron» (Montaigne), ce n’est pas se sauver seulement à l’aide d’avirons, mais à l’aide de coups d’aviron. Chez le même auteur: à coups de fouet, à coups d’épée, à coups de hache et de cognée, etc. Aujourd’hui, c’est pareil: «L’homme fit fuir le voleur à coups de poing et à coups de dictionnaires (il avait toute une encyclopédie sous la main).»
 
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CITATION

«Une grande couleur rouge passait sur elle selon le souffle du vent qui venait par la porte entrouverte.» (Gustave Flaubert, Madame Bovary.)

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15 mars 2010 1 15 /03 /mars /2010 00:27

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Du choix des conseillers municipaux jusqu’à celui du président de la République, en passant par celui des conseillers régionaux, les élections ont pour rôle de réduire à peu de voix, voire à une seule, la multiplicité existante. Elles reposent sur deux consensus: celui de la représentation (je donne ma voix à untel qui parlera à ma place) et celui de la majorité (celui qui a le plus de voix parlera). Après cela, toutes sortes de dispositions sont possibles, notamment pour assurer les droits des minorités, mais, en tout état de cause, c’est une majorité qui l’emporte et le tout est de faire cette majorité (on connaît, dans ce calcul, le rôle des minorités).


La majorité a longtemps été appelée «pluralité». En voici un exemple: «Sur l’heure même fut arrêté à la pluralité des voix qu’ils seraient exécutés à mort» (Jacques Amyot, 1513-1593). En 1935 encore, la pluralité signifie «le plus grand nombre de voix, de suffrages» (Académie française). Cette acception a vieilli, précise la dernière édition de la même source. Elle a vieilli sous les coups de la majorité, à propos de laquelle Littré note: «Majorité, dans le sens de pluralité, est un anglicisme. Avant l’introduction de ce mot, qui date du XVIIIe siècle, on disait la pluralité, qui valait infiniment mieux.»


La majorité est en effet une copie de l'anglais majority (terme issu lui-même du français, langue dans laquelle il a d'abord conservé un autre sens, lié à l'âge). La majority, c’est le plus grand nombre et, avec l’institution du parlement outre-Manche, le plus grand nombre de voix. L’adoption du régime parlementaire de ce côté-ci de l’eau a importé avec elle cette majority, dont nous ne dirons pas avec Littré que «la pluralité valait infiniment mieux». La pluralité s’entend par opposition à la singularité (Furetière, 1619-1688: «La pluralité est une quantité discrète [=arithmétique] qui consiste à deux ou à un plus grand nombre»), tandis que la majorité est le contraire de la minorité. La pluralité était une somme de singularités, la majorité est une somme de minorités.

 

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CITATION
«Quelqu’un toque à la porte. Le bruit est faible mais il est là, il fend le silence avec une indiscrétion telle qu’il nous laisse l’une et l’autre muettes et gênées, les yeux rivés sur la porte.» (Elsa Flageul, J’étais la fille de François Mitterrand.)

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15 mars 2010 1 15 /03 /mars /2010 00:20

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L’expression «faire débat» est très employée dans les journaux, ses exemples ne font pas défaut. Le cumul emploi-retraite d’un PDG fait débat, le péage urbain, la taxe professionnelle, le projet de budget font débat. On comprend sans difficulté ce que signifie «faire désordre» («toutes ces promesses contradictoires font désordre»), c’est «donner une impression de désordre». Même chose dans «ce gamin fait déjà jeune homme» ou «ce paysage fait très champêtre»: nous sommes dans le domaine de l’apparence et du ressenti. Ce serait un non-sens de penser que «toutes ces promesses contradictoires font débat» signifie que lesdites promesses ont une apparence de débat. Alors?

CrapaudAlors, «cela fait débat» n’est pas comme «cela fait désordre», peut-être faut-il plutôt penser à une construction du genre de «cela fait plaisir». Ces promesses font plaisir, ces promesses font débat. Mais là encore ça ne marche pas, parce que les promesses font plaisir à ceux qui y croient, tandis qu’elles ne font pas débat «à» qui que ce soit. Faut-il donc rapprocher «faire débat» de «faire faillite», «faire naufrage», «faire chou blanc», qui expriment un dommage? On ne voit pas qu’un débat doive être nécessairement préjudiciable, sauf du point de vue de ceux qui refusent le débat, parce qu’il leur fait peur. En principe, il est bon qu’une chose soit débattue, surtout si elle est importante.

Or, il y a dans «faire débat» un jugement négatif. Lorsqu’on lit que «les produits bio font débat», que «les nanotechnologies font débat», que «le rôle des hommes dans le changement climatique fait débat», ce qui nous est dit n’est pas que ces questions sont débattues, mais qu’elles sont sujettes à caution. «Faire débat», ce n’est pas faire l’objet d’un débat, c’est être douteux. Pauvre débat...
 

 

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CITATION
«La bouilloire tremble et chante sur le poêle, le chien avachi dort, le nez entre ses pattes, le grand vent du dehors fait crier la porte dans ses gonds et la noire corneille appelle à tue-tête dans le désert aérien…» (Bernanos, Sous le soleil de Satan.)

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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 00:51

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Mardi dernier, sur France Inter, Florence Aubenas parlait de l’expérience qu’elle raconte dans son livre le Quai de Ouistreham(Éditions de l’Olivier). Pendant six mois, elle s’est mise dans la peau d’une femme sans qualification, seule, à la recherche d’un emploi. Elle a trouvé… ce que son livre raconte: Pôle emploi (qui remplace l’ANPE) et des bouts de travail temporaire payés au-dessous du smic, des horaires impossibles, des conditions pénibles, des heures de nettoyage dans les ferries du port de Ouistreham… Elle a vécu la vie des travailleuses précaires qu’elle a rencontrées. Comme elles, elle a fait, dit-elle, jusqu’à cinq «travails» dans la même journée.


On peut supposer que Florence Aubenas a voulu dire «travaux» et que sa langue a fourché. Ce qui est intéressant, au contraire, c’est qu’elle ait dit «travails», parce que «travaux» n'était pas le pluriel adéquat. En effet, «j’ai fait plusieurs travaux» serait tout différent. Des travaux, c’est une somme qui a un sens, c’est un ensemble, une continuité, dans un monde où il y a du travail, des métiers et des emplois. Un travail + un travail + un travail = des travaux. Un emploi consiste assez souvent en travaux différents. Mais précisément, là, le travail n’est pas un emploi, il n’est que parcelles et bribes de travail qui ne s’additionnent  pas, mais se succèdent… s’il y en a. «Aujourd’hui, écrit Florence Aubenas dans son livre, on ne trouve pas de travail, on trouve des "heures".» C’est pourquoi elle n’a pas fait des travaux (continuité), mais des travails (précarité).

 

 

--------------------------«Tant qu’ils sont en cours de peine, on les nourrit (mal), on les couche (mal), on les habille (mal). Brillant minimum quand on regarde la suite. Leur cinq ou sept ans achevés, on les met à la porte du camp.» (Albert Londres, Au bagne.)


CITATION

 

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8 mars 2010 1 08 /03 /mars /2010 00:48

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Toutes les villes du monde, sans exception notable, sont introduites par la préposition à: à Paris, à Pékin, à Moscou, à Arles, à Arras, à Avignon. Certains préfèrent «en Arles», «en Avignon», mais c'est sans raison probante. En revanche, faut-il dire à la Martinique ou en Martinique? Nous avons abordé dans un article antérieur cette épineuse question du choix de la préposition, à propos des îles-États sans article, qui sont toutes introduites par la préposition à (à Chypre, à Malte, à Ceylan, devenu Sri-Lanka en 1972), et des États non insulaires sans article, introduits par en s’ils commencent par une voyelle (en Andorre, en Israël) et par à s’ils commencent par une consonne (à Monaco).


La petite contrebasse (à la demande d'Idefix, expo «Playmobil» au musée des Arts décoratifs, Paris)Reste à régler leur compte aux quelques cas de noms de pays et régions introduits par un article… 1° Les îles-États: en Australie, à la Jamaïque, mais en Jamaïque se rencontre aussi. 2° Les archipels-États: au Japon, aux Bahamas, en Indonésie. 3° Les États non insulaires: en Italie, en Nouvelle-Zélande, au Portugal, au Pérou. 4° Les régions et les États parties d’une fédération: en Corse, en Guyane, en Sardaigne, en Picardie, en Bavière, en Californie, en Bouriatie, mais dans le Berry, dans le Brandebourg, dans le Colorado, mais au Daguestan, au Texas; à la Guadeloupe (hier), en Guadeloupe (aujourd’hui)… Le plus grand désordre règne dans l’emploi d’

à, d’en et de dans; or, le langage est fait pour mettre des étiquettes, de l’ordre dans les choses sous des catégories. Quelle horreur! Il en faut…

 


La cause du désordre est, selon nous, la suivante: des raisons hétérogènes président au choix de la préposition ad hoc. 1° Ce qui est au pluriel est introduit par à: aux Indes (jadis), aux États-Unis, aux Bahamas. 2° Ce qui est féminin est introduit par en et ce qui est masculin est introduit par à: en Russie, au Canada, en Micronésie, au Japon; mais en Uruguay, car 3° ce qui est masculin et commence par une voyelle est introduit par en et, commençant par une consonne, est introduit par à: en Angola, au Venezuela; mais dans l’Ohio, car 4° ce qui est masculin est introduit par à si l’on pense à un État ou donne à une région la valeur d’un État, par dans si l’on ne pense pas à un État en tant que tel au niveau international:

au Brésil, au Pakistan, au Texas, au Tibet, au Daguestan, dansl’Ohio, dans le Brandebourg, dans le Hanovre, dans le Berry, dans le Poitou (mais en Poitou-Charente, qui n'est pas introduit par un article).

 


Enfin, 5° la plus ou moins grande proximité géographique, culturelle, historique, géopolitique, etc., du pays dont on parle entre aussi en ligne de compte, le plus proche étant vu comme de l’intérieur (préposition en) et le lointain ou l’exotique restant extérieur (préposition à): c’est ainsi qu’on a dit, jadis, à l’Amérique, à la Chine, comme on dit à la Barbade, comme on a dit à la Martinique: «Le vieillard eut raison: l’un des trois jouvenceaux/Se noya dès le port, allant à l’Amérique» (La Fontaine, Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes), tandis qu’on n’a jamais dit à la Corse ni à la Sicile, et qu’on dit maintenant en Chine, en Amérique et, plus récemment, en Guadeloupe.

  

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CITATION:
«Jeanne rejoignit les armées et fut prise, sous Compiègne, parce que la porte avait été refermée derrière elle, peut-être par trahison.» (André Maurois, Histoire de France.)

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4 mars 2010 4 04 /03 /mars /2010 00:46

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(Petite information complémentaire sur la fameuse préposition  en.) Au est qualifié d’article contracté, mais il s’agit en fait de la contraction de la préposition à et de l’article le; chacun d’entre nous fera la même remarque pour du (de le), mais pas pour ou, qui est une conjonction de coordination (mais où est donc Ornicar?). C’est vrai aujourd’hui, cela l’était moins hier ou auparavant, aux époques où ou était aussi la contraction d’en le.

Décor de la forêt, théâtre du Grand Trianon à VersaillesCitations: «Et quand il entra ou castel», c’est à dire «en le castel» (Lancelot, roman en prose du XIIIe siècle); et encore: «En la saison et ou printemps d’esté/Ou gentil may, qui est si noble mois…» (Eustache Deschamps (1346-1406). «Ou gentil mai», c’est en le gentil mois de mai, et «ou printemps d’esté», c’est en le premier temps (printemps) de l’été.

Outre l’étymologie du mot printemps, ce qui est intéressant dans cette seconde citation comme dans la première, c’est donc l’emploi de la contraction ou, pour en le. «Ou printemps» a donné par la suite «au printemps», par attraction et confusion, mais cet au n’est pas le même que celui de la contraction à le (1), c’est de la préposition en qu’il s’agit (en le = ou, confondu plus tard avec au), comme dans en été, en automne, en hiver. Les noms des quatre saisons sont introduits, historiquement parlant, par la même préposition en.

Une autre contraction, mieux repérée, est celle d’en les, qui donne ès, comme dans ès qualités. Le docteur en les sciences est notre docteur ès sciences, où ne percevons plus ni l’article les ni la préposition en  (tandis que le docteur en les sciences politiques est docteur en
sciences politiques, par chute de l’article).
 
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CITATION: «Au même instant, trois hommes armés de couteaux aiguisés sortirent par la porte des cuisines et foncèrent droit sur la camionnette où se trouvait le daim.» (Philippe Djian, Incidences.)
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(1) Au, mis pour à le, se rencontre aussi dans le Lancelot cité ci-dessus: «Il vient au cheval et monte sus», «il vient au mur», etc. Notez la force de cet à (sous la forme au). à la place duquel on s'embarrasse aujourd'hui d'un vers, d'un près de, d'un jusqu'à.

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1 mars 2010 1 01 /03 /mars /2010 00:43

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En est une préposition et un pronom, contentons-nous pour cette fois de la préposition. J’entrai en ce salon immense et ténébreux non sans appréhension… Vous noterez toute de suite qu’il n’est pas difficile de remplacer en par dans: j’entrai dans ce salon… Cependant, si vous substituez à l’adjectif démonstratif ce l’article défini le, vous ne direz pas spontanément j’entrai en le salon, mais j’entrai dans le salon. En effet, en supporte mal d’être suivi par le, la ou les. Pourquoi? C’est comme ça au moins depuis Ronsard: dans a supplanté en, qui s’est retrouvé cantonné dans des emplois sans article défini. Être en paix, être en guerre, en bonne santé, bref, des emplois moins précis, moins déterminés. Comparez: être en colère et dans une sainte colère.

 


Mais, alors, faut-il dire que le mariage sera célébré à la cathédrale Saint-Étienne ou en la cathédrale Saint-Étienne? D’après ce qui précède, en la cathédrale est mal fait, c’est à la cathédrale (ou dans la cathédrale) qu’il faut dire. Oui, mais: le concert sera donné en la grande salle du château; on se réunira ensuite en la tour adjacente; un buffet sera proposé en l’ancien parloir… tout cela est bel et bon, c’est d’un style qui renvoie aux locutions conservées d'avant-hier dont nous parlions tout à l’heure. Une fête en l’église Saint-Paul est parfaitement recevable, c’est même mieux, quelquefois, que la cérémonie accomplie à l’église du même nom, à cause du passé, à cause de la présence du vieil en passé dans le présent. Une connotation historique, un peu officielle, juridique, voire administrative, est présente dans cette façon de parler. À réserver pour faire-part, invitations, vieux style, toutes choses importantes au jour le jour.

  Décor de la maison rustique, théâtre du Grand Trianon à VersaillesIl y a des locutions maintenues d’un passé révolu (pas totalement révolu, grâce à ces locutions qui en gardent la trace): en l’an de grâce mille trois cent trente, en l’an trois mille, en l’absence de preuve, en la matière, en l’occurrence, il y a péril en la demeure, et maint autre emploi auquel vous penserez de vous-mêmes. Cela n’empêche pas de dire que la préposition en s’emploie en général sans l’article défini: en France, en Angleterre, en temps de disette, en temps de crise, toutes constructions que vous ne retrouverez pas si, au lieu d’en, vous mettez dans, car vous entrez alors dans un domaine plus précis et plus déterminé, où l’article est nécessaire: dans la France d’aujourd’hui (comparez avec en France, aujourd’hui).

 

 

---------------- «Les bébés poussent des cris lors de leurs coliques ou lorsqu’ils font leurs dents; à leur côté, des vieillards agonisent, tandis que des jeunes mariés accomplissent plus ou moins discrètement leur devoir conjugal, au vu et au su de la famille. C’est seulement à partir du XVIe siècle que les lits vont se voir de plus en plus fréquemment munis de rideaux, si ce n’est de portes, comme les "lits clos", protégeant un peu mieux du froid et surtout de la promiscuité.» (Jean-Louis Beaucarnet, Qui étaient nos ancêtres?)


CITATION:

 

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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 00:41

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Vaugelas n’était pas l’ennemi des néologismes. Il aimait bien, par exemple, «plumeux» qu’avait inventé Charles Perrault («Dédale n'avait pas de ses rames plumeuses/Encore traversé les ondes écumeuses»). Cependant, il s'en méfiait. Vous penserez peut-être: Comment? il y a un problème avec les néologismes? Oui, bien sûr, il y en a un. Rappelez-vous l'«abracadabrantesque» rimbaldien, le «pschitt»... pour ne citer qu'un président de la République, termes dont l'emploi par lui avait frappé. Nous ne critiquons pas ces emplois, qui avaient justement l'ambition de frapper, nous voulons au contraire attirer l'attention sur la place prise par les néologismes dans le discours politique.
Lisez donc, s'il vous plaît, ce qu'en disait Vaugelas, au XVIIe siècle (j'ai souligné ce qui me semblait le plus important), en gardant à l'esprit que l'auteur (1585-1650) publia ses Remarques en 1647, Louis XIII était mort depuis quatre ans et Louis XIV, enfant, roi depuis le même nombre d'années.

 

C’est le cas aujourd’hui, où est repris en chœur — pour l’instant d’une mode — le bon mot d’un puissant par tous les courtisans. D'autres exemples! d'autres exemples!
Des exemples, en veux-tu? en voici. «Citoyen», employé comme adjectif pour qualifier tout ce qu'on voudra (un geste citoyen, un développement citoyen), «gouvernance», vieux mots remis à la mode, dont on ne voit pas très bien ce qu'il signifie aujourd'hui exactement, le développement «durable», dont rien ne laisse penser qu'il aura un autre terme que le développement tout court, «imprivatisable» («La Poste est imprivatisable», dit un secrétaire d'État), «inénervable» («je suis inénervable», dit un premier ministre),  la «bravitude», etc. Chacun de ces mots nouveaux, pris séparément et une seule fois, pourrait avantageusement faire sourire. Hélas, c'est d'une répétition permanente et d'une accumulation sans limites qu'il s'agit — souvent pour attirer et détourner l'attention —, aux dépens d'une langue dont on laisse tomber le vocabulaire usuel, clair et précis, tandis que ceux vers lesquels tant de micros sont tendus seraient mieux avisés de s'en tenir aux instruments déjà fournis et d'assumer, dans ce domaine aussi, la responsabilité qui incombe à leur charge. Quel vieux ronchon!

CITATION
«La plaque de cuivre vissée à la porte de mon cabinet prête souvent à confusion. Je le savais en demandant au graveur d'inscrire ce simple mot: accordeur. En réalité, j'accorde d'étranges instruments, mais faut-il parler d'instruments quand il s'agit du corps humain?» (Éric Fottorino, Un territoire fragile.)

 

 

 

«Playmobil», Paris, musée des Arts décoratifs«Il n’est permis à qui que ce soit de faire de nouveaux mots, non pas même au souverain, écrit Vaugelas. (...)  Ce n’est pas qu’il ne soit vrai que si quelqu’un en peut faire [un] qui ait cours, il faut que ce soit un souverain ou un favori ou un principal ministre (...), mais cela se fait par accident, à cause que, ces sortes de personnes ayant inventé un mot, les courtisans le recueillent aussitôt et le disent si souvent que les autres le disent aussi à leur imitation, tellement qu’enfin il s’établit dans l’usage et est entendu de tout le monde. (...) On ne parle que pour être entendu et un mot nouveau, quoique fait par un souverain, n’en est pas d’abord mieux entendu pour cela, (...) il est aussi peu de mise et de service en son commencement que si le dernier homme de ses Etats l’avait fait.»

 

 

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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 00:37

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Vaugelas (XVIIe siècle) est notre contemporain. Lisez plutôt:
«Les termes de l’art [entendez: les termes spécialisés d’un langage technique particulier] sont toujours bons dans l’étendue de leur juridiction, et le plus habile notaire de Paris perdrait toute sa pratique s’il se mettait dans l’esprit de changer son style pour prendre celui de nos meilleurs écrivains. Mais aussi, que dirait-on de ceux-ci s’ils écrivaient "icelui", "jaçoit que" [quoique, bien que (Littré)], "ores que", "pour et à icelle fin" et cent autres semblables que les notaires emploient?


«Playmobil», Paris, musée des Arts décoratifsCe n’est pas pourtant que les dictions d’un notaire soient mauvaises; au contraire, la plupart sont bonnes, mais on peut dire, sans blesser une profession si nécessaire dans le monde, que beaucoup de gens usent de certains termes qui sentent le style de notaire, et qui dans les actes publics sont très bons, mais ne valent rien ailleurs.»

 


On peut critiquer le style des notaires (ce que, donc, Vaugelas ne fait pas), mais c’est prendre le problème par le petit bout de la lorgnette. La remarque de Vaugelas concerne la langue générale, qui, aujourd’hui comme en son temps, doit supporter des discours qui sentent, sinon le style de notaire, du moins celui d’informaticien, d’économiste et de représentant de commerce. 

 


En voulez-vous des exemples ? «Feuille de route» (langage militaire: ordre de rejoindre, assorti d’un itinéraire; langage informatique: programme de développement d'un logiciel, roadmap); «en charge de» (langage des affaires, in charge of); «opportunité» (langage commercial, opportunity, occasion); «gagnant-gagnant» (langage commercial); «dédié» mis pour «réservé», «consacré», «un  emplacement dédié aux jeunes» (langage informatique, un site dédié, dedicated)… À vous d’en trouver d’autres!


Je citerai surtout, pour ma part, l’omniprésence des statistiques dans maintes bouches vers lesquelles se pressent les micros, tous chiffrages relevant d’une conception commerciale du monde et qui ne veulent presque rien dire dans leur emploi généralisé, total (totalitaire?), vu les marges d’erreur qu’on oublie de donner, qui sont la plupart du temps supérieures aux variations prétendues (sans parler de l'impossibilité pour la plupart des gens d'accéder à la source de ces chiffres assenés comme des «faits»).

 

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CITATION «La bonne nous guettait, entrebâillait les portes; nous les refermions.» (Jean Guenot, la Tour de papier.)

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