. Cesse de faire couler Ces larmes amères, Qui telles des lames, Déchirent ton âme. Retrouve ce visage, Celui du bel âge, Lorsque tu étais bien plus sage.
J'ai vu ton odeur Traverser avec douceur Les couloirs de ma peur. J'ai senti ton sourire Briser les épaisses serrures De mon amertume. Entrer dans mon coeur avec lenteur.
Cesse de faire couler Ces larmes amères, Qui telles des armes, Déchirent mon coeur fatigué. . .
. Le vert d'un manguier nu, sous un vent sec et clair Frissonnait, l'âme en paix, et défiait les éclairs. Je marmonnais des vers dans un liquide amer, Morose, myope et défait par les ans, les hivers.
La page était tournée, les espoirs balayés, Enfuis sous le feu gris de rires mal payés. La crise menaçait ; celle qui mène au crack Et brise les envies de braver le ressac.
La pluie ne venait pas. Perdue, sans doute, au loin. Le noir de nuit tombait sur les rues et les coins. Puis d'un coup, la lumière. Flash. La belle était là. Chamade. Alerte rouge. Le bijou. Son éclat. .
Vincent Van Gogh, Vieil homme dans la douleur (Old Man in Sorrow, on the Threshold of Eternity), Saint Rémy de Provence, Mai 1890.
“Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte.” Albert Cohen
“Aujourd’hui est mauvais, et chaque jour plus mauvais, jusqu’à ce que le pire arrive.” Schopenhauer
. Je voguais tel un cygne en retour d'Angleterre Même si sur les quais personne n'attendait Ma personne anonyme; eh, celle que j'aimais, Seule à pouvoir m'attendre, était restée derrière!
En m'éloignant ainsi je vis des bâtiments - Un cargo très suspect aux lettres cyrilliques, Un dandy reconstruit au nom insignifiant - Qui écrivaient son nom en lettres aquatiques.
Et dans la houache aussi, éphémères peintures Je vis se dessiner au gré des houppées grises Sur son visage entier, sa belle chevelure.
Et encore aujourd'hui, alors que je m'éloigne Je me souviens encore d'une soirée exquise De retour d'Angleterre, sur le pont du Bretagne. . .
«La terre japonaise serait la suggestion que les mots et les relations entre mots ont l’ampleur et la densité de la variété des choses, de l’autre côté – ou pas même – du miroir. »
Dans cette définition qu’Yves Bonnefoy donne du haïku, il faut retenir que cette forme poétique particulière et inédite se situe à la frontière entre la concision de son dire et la richesse de sa signification. Forme inédite, quand on sait que ce poème est le plus petit mode d’expression poétique qui soit au Japon. Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que le haïku n’énonce rien de plus que ce que contiennent ses dix-sept syllabes, généralement réparties sur trois vers : aucun double sens ne se cache entre ces lignes.
Quoi de plus ample et dense à la fois que la représentation d’une scène amoureuse et charnelle de vie conjugale, celle d’un jeune homme venant donner sa virginité dans les bras d’une courtisane ? Mais le haïku érotique s’en tient rarement aux apparences de premières fois frivoles ; ce qui attise au contraire la curiosité – ou plutôt l’imagination – des poètes japonais se dissimule derrière des détails du quotidien, détails « burlesques » et pour le moins crus.
Le poète est rarement celui qui voit, il est celui qui fantasme, se laisse aller à l’imagination de situations cocasses, puisant parfois ses sources dans les rumeurs que s’échange la foule.
À propos d’un moine doté d’une anatomie flatteuse :
Quand elle bande, Dôkyô
tout entier peut se cacher
derrière sa mentule
Il n’est pas rare que malgré l’aspect souvent direct de la formulation, le poète fasse usage de nombreuses figures d’atténuation, périphrastiques, lignes au caractère pour le moins mystérieux et même tonalités lyriques, le tout dans l’unique but de souligner un certain comique relatif aux situations énoncées.
Évoquant la pénétration par l’intermédiaire d’artefacts, dits « olisbos » :
Les dames du palais
absorbent des choses qui ne
gonflent pas le ventre
Ou encore :
La dame du palais
fait un achat qui pourrait
la mettre à l’étroit
Le poète prête sa voix aux dames du palais, dans une extase largement ironisée :
Se perçant l’une l’autre
ah, je meurs, je meurs ! s’écrient
les dames du palais
Le souci du comique qui caractérise les haïku érotiques va de pair avec la capacité à rendre compte des habitudes et des moeurs de la société, du palais jusqu’aux quartiers populaires d’Edo où les courtisanes reçoivent leurs clients en passant par le couple ou les moines, non sans une certaine déformation, voire une extrapolation (en particulier pour les dames du palais, dans l’intimité desquelles il était impossible pour le poète de s’immiscer).
À la vue de sa femme commettant l’adultère :
Surprise du mari
découvrant que sa femme a
soudain quatre jambes
Ou bien réalisant la grossesse de la domestique :
La bonne au gros ventre,
on a bien une idée de
cinq ou six suspects
Le haïku érotique, au même titre que n’importe quel type de haïku, se focalise sur un instant ou un mouvement et se démarque par sa concrétude qui laisse place au grossissement volontaire des traits. D’une veine souvent comique, il nous fait entrer dans la sphère érotique de toutes les couches de la société, sans interdits et avec légèreté. .
. Oh, que de guerres, Que de tonnerres Pour un si petit jour!
Ô, chère terre, Mère des mères, Où est passé l'amour...?
L'âge de pierre Est là qui erre Suivi de ses pandours *;
Ils tuent leurs frères, Tuent la lumière Et tous ceux qui l'entourent...
Ô, chère terre, Mère des mères, On a tué l'amour...? . ----------------------------- * Pandour ou pandoure (nom masculin): Soldat irrégulier de Hongrie. [Sens figuré] Pillard.
. Ô, je t'aime, quand l'aurore craintive Ouvre au soleil son château enchanté ; Oui, je t'aime, lorsque la nuit pensive Passe en rêvant sous son voile argenté ; A l'appel du plaisir lorsque ton coeur s'agite, Aux doux songes du soir lorsque l'ombre t'invite, Tais-toi et écoute au fond de la nuit Murmurer cette voix: Je t'aime, oh, oui! .